Le 6 avril 2022 a été enregistrée au Journal Officiel une proposition de Loi (n°4941) portée par 44 députés Les Républicains (LR) visant à exclure les produits AOP et IGP de l’étiquetage Nutri-Score. Elle reprend les éléments d’une précédente proposition de loi déposée en juin 2021 par Arnaud Viala, à l’époque également député LR qui avait exactement le même objectif.

Le contexte de la proposition de Loi
En réalité, comme pour la précédente proposition de loi de 2021, ce texte législatif reprend quasiment point par point les éléments de langage développés par la Confédération Générale du Roquefort qui s’oppose à l’affichage du Nutri-Score sur leur produit et demande leur exemption du champ d’application du logo nutritionnel (https://www.roquefort.fr/wp-content/uploads/2021/10/CGR_DP-Manifeste-Nutriscore-2021-1.pdf). Rien de surprenant quand on se rappelle que l’ex-député Viala, à l’origine du texte, était élu de l’Aveyron (et est actuellement président du Conseil Départemental de l’Aveyron), la zone de production du Roquefort. D’autant moins surprenant que Lactalis (n°1 mondial des produits laitiers), qui commercialise 70 % du volume de vente du Roquefort (et de nombreux autres fromages), est un fervent opposant à Nutri-Score. Profitant du fait que le logo adopté en France (et aujourd’hui dans 6 autres pays européens) n’est pas obligatoire du fait de la réglementation européenne actuelle, Lactalis ne l’affiche sur aucun de ses produits (les fromages avec ou sans AOP, les crèmes desserts, les différents produits laitiers,…).
C’est le vote en 2021 de la Stratégie « Farm to Fork » (de la ferme à la fourchette) portée par la Commission européenne dans le cadre du Green Deal européen et qui prévoit la mise en place d’un logo nutritionnel unique et obligatoire pour l’ensemble des pays européens avant la fin 2022, qui a réveillé tous les lobbys. Jusqu’alors, ils se satisfaisaient du caractère facultatif du Nutri-Score, ce qui leur permettait de ne pas jouer le jeu de la transparence vis-à-vis des consommateurs sur la réalité de la composition nutritionnelle de leurs produits. Désormais, des opposants au Nutri-Score avec des intérêts parfois divergents se sont unis avec comme objectif commun d’empêcher que Nutri-Score ne soit adopté au niveau européen comme logo obligatoire et, dans le même temps, de dénaturer Nutri-Score dans les pays où il a été adopté sur une base volontaire. Dans cette alliance anti-Nutri-Score, on retrouve d’un côté des grands groupes agro-alimentaires internationaux comme Coca-Cola, Ferrero, Mars, Mondelez, Unilever, Kraft, Lactalis,… membres de la puissante organisation de lobbying Food and Drink Europe localisée à Bruxelles; de l’autre côté, certaines filières agricoles, notamment celles des fabricants de fromages et de charcuteries, membres de la puissante organisation COPA-COGECA qui regroupe au niveau européen certaines organisations syndicales et professionnelles agricoles et coopératives (dont la FNSEA en France). Pour couronner le tout, on y retrouve également un pays – l’Italie -, aligné sur les positions de ses acteurs économiques du fait de la proximité de son gouvernement avec certaines firmes industrielles (notamment Ferrero) et de certains secteurs agricoles (comme ceux du Parmesan, du Gran Padano, du Gorgonzola, du Prosciutto, du Jambon San Daniele…). L’état Italien instrumentalise donc Nutri-Score, présenté par son ministre de l’Agriculture (issu du parti populiste 5 étoiles) et son secrétaire d’état aux politiques agricoles, alimentaires et forestières (issu du parti populiste de la Ligue du Nord) comme une arme de l’Europe (ou de la France selon le moment) soit disant créée dans le seul but de pénaliser les produits « made in Italy »… En France, la Confédération Générale du Roquefort (avec Lactalis en arrière-plan) et d’autres filières de production de fromages AOP/IGP et même de la charcuterie se sont montrées également particulièrement actives dans le lobbying anti-Nutri-Score et ont mobilisé beaucoup de forces politiques (notamment des élus ou des candidats des zones de production de leurs produits) pour pousser à l’exemption du périmètre de Nutri-Score. Et c’est bien l’objet de cette nouvelle proposition de Loi signée par les 44 députés LR.
En regardant de près l’exposé des motifs on note que cette proposition de Loi, comme celle dont elle s’inspire, s’appuie sur des arguments qui n’ont strictement aucun fondement scientifique ni de légitimité en termes de santé publique. Pire, les éléments mis en avant pour la justifier montrent que les députés signataires ont utilisé quasiment un copié-collé du manifeste de la Confédération Générale du Roquefort et en revanche ne semblent pas s’être renseignés auprès des scientifiques, des experts en nutrition, en santé publique,…
C’est pour cela que le texte reprend exclusivement des arguments de défense d’intérêts purement corporatistes faisant appel à de fausses affirmations. Il démontre une totale incompréhension ou une volonté de ne pas reconnaître ce que peut apporter un logo nutritionnel comme Nutri-Score et son utilité en termes de santé publique avec un total déni de la science qui le sous-tend, notamment la cinquantaine d’études scientifiques démontrant la validité de sa construction et l’intérêt et l’efficacité de son apposition sur les emballages des aliments.
Les réponses aux fausses affirmations de l’exposé des motifs
A côté d’erreurs factuelles dans le texte, telles que « le PNNS (Programme National Nutrition Santé) recommande 3 à 4 produits laitiers par jour », alors que depuis 2019, ses recommandations officielles sont de deux produits laitiers par jour, on retrouve dans l’exposé des motifs des incohérences et des affirmations totalement fausses sur ce qu’est le Nutri-Score et sur son mode de construction.
1er faux argument : «… il [Nutri-Score] ne donne pas d’information sur le degré de transformation du produit et la présence d’additifs, de colorants ou de conservateurs, pas plus que sur son impact en terme d’environnement : ainsi les fromages qui sont fabriqués à partir d’une liste d’ingrédients simples (lait, ferments et sel) et sans additifs, à partir de recettes traditionnelles éprouvées se trouvent paradoxalement moins bien notés que certains produits industriels hyper-transformés »
Cet argument est totalement discutable à deux points de vue :
1) Il est totalement incohérent avec l’objectif affiché de la proposition de Loi qui vise à exclure du Nutri-Score, de façon générique, tous les produits AOP/IGP sous prétexte qu’ils seraient fabriqués à partir d’une liste d’ingrédients simples et sans additifs (comme montré au travers de l’exemple des fromages). Mais en fait si cet argument destiné à légitimer la proposition de Loi pourrait s’appliquer d’une façon générale aux fromages AOP/IGP, il n’est pas applicable à de nombreux autres produits porteurs de ces labels, notamment de charcuteries AOP/IGP qui, contiennent pour un grand nombre d’entre elles des nitrites et qui sont considérés comme des produits ultra-transformés (classés NOVA4). L’argument que les AOP sont des « aliments simples, sans additifs », ce qui justifierait leur exemption du Nutri-Score, n’est donc pas du tout adapté puisque de nombreux aliments AOP/IGP peuvent contenir des additifs et être des produits ultra-transformés.
Cette incohérence, voire cette contradiction, s’explique par le fait que le texte législatif reprend « clé en main » les éléments de langage des producteurs de fromages AOP/IGP (surtout ceux du Roquefort) conçus pour « défendre leurs fromages », en s’appuyant sur le fait qu’ils seraient composés de produits simples, sans additifs et seraient des produits non ultra-transformés.
Mais en réalité, si la majorité des fromages AOP/IGP ne contiennent pas d’additifs ou pour certains d’entre eux en contiennent peu (et pour lesquels il n’y a pas eu spécialement d’études suggérant des problème, a priori, comme le E153 ou le E160) ils font partie pour la majeure partie des « aliments transformés » non considérés comme « ultra-transformés », selon la classification NOVA (excepté pour un petit nombre d’entre eux), ce n’est pas le cas de très nombreuses charcuteries AOP/IGP qui quant à elles, contiennent un additif, les nitrites (pour lesquels il existe de plus en plus d’arguments sur la dangerosité potentielle et dont l’interdiction est aujourd’hui discutée). Beaucoup de charcuteries sont considérées comme des produits ultra-transformés (NOVA4). Alors comment demander dans un texte de Loi d’exempter l’ensemble des produits AOP/IGP sous prétexte qu’ils ne contiennent pas d’additifs et ne sont pas ultra-transformés, ce qui est, certes, le cas d’une majorité des fromages, alors que de nombreuses charcuteries couvertes par la proposition de Loi contiennent des additifs, notamment des additifs controversés et sont des aliments ultra-transformés ?
2) Outre cette incohérence dans la rédaction du texte, l’argument sur le fait que Nutri-Score ne prenne pas en considération l’ultra-transformation et la présence des additifs, a déjà fait l’objet, à de très nombreuses reprises, de réponses des scientifiques pour démonter la confusion entretenue par les lobbyistes qui utilisent habituellement cette fausse accusation. En fait l’ultra-transformation et la composition nutritionnelle sont deux dimensions différentes des aliments qui ont, chacune, la capacité d’impacter la santé des individus par des mécanismes différents. Comme tous les autres logos nutritionnels, Nutri-Score renseigne exclusivement sur la composition/qualité nutritionnelle des aliments, et ne peut intégrer dans son calcul les autres dimensions santé des aliments: ultra transformation, additifs, composés néo-transformés, résidus de pesticides,… Aussi importantes soient-elles, ces dimensions ne sont d’ailleurs intégrées dans aucun logo nutritionnel scientifiquement validé dans le monde, car il n’est pas possible, dans l’état actuel des connaissances, de les prendre en compte dans le calcul d’un indicateur unique et donc de les agréger dans un même logo.
Synthétiser l’ensemble des dimensions santé des aliments au travers d’un indicateur unique et fiable, qui prédirait globalement le risque/bénéfice pour la santé serait, à l’évidence, le rêve de tout scientifique acteur de Nutrition de Santé Publique et serait particulièrement utile pour les consommateurs. Mais ce n’est pas par hasard, et surement pas par incompétence, si aucune équipe de recherche dans le monde, aucune structure de santé publique, aucun comité d’experts national ou international, ni même l’OMS n’a pu concevoir à ce jour un tel indicateur synthétique. Cette critique est d’autant moins acceptable qu’on ne peut demander à un logo dans l’état actuel des connaissances scientifiques de couvrir à lui seul les différentes dimensions santé des aliments et exiger de Nutri-Score ce qu’aucun logo ne peut apporter aujourd’hui (y ajouter une dimension environnementale est bien sur totalement utopique !). C’est une limite des logos nutritionnels qu’il faut accepter. Par contre le fait qu’un aliment soit ultra-transformé est également une information importante qui doit faire l’objet d’une communication spécifique complémentaire à celle des logos qui renseignent sur la dimension nutritionnelle. Il faut donc accepter que des informations complémentaires sur les différentes dimensions santé des aliments (Nutri-Score, aliment ultra-transformé, produit Bio) soient fournies aux consommateurs graphiquement de façon séparées (avec, en attendant que cette information graphique soit donnée, des conseils pour choisir des aliments avec le meilleur Nutri-Score et contenant pas ou le moins possible d’additifs dans la liste des ingrédients).
Bien que Nutri-Score se concentre uniquement sur l’information des consommateurs concernant la composition nutritionnelle des aliments, cela représente déjà beaucoup en termes de santé publique, comme en témoignent les multiples études de cohortes prospectives portant sur des grands échantillons de population suivis sur de nombreuses années, montrant le lien entre le fait de globalement manger des aliments mieux classés par Nutri-score et le moindre risque de maladies chroniques: cancers, MCV, obésité,….
3) Enfin argumenter que les fromages AOP/IGP sont moins bien classés que certains aliments industriels est un non-sens car cette affirmation souvent utilisée par les fabricants de fromages AOP/IGP repose le plus souvent sur une comparaison des fromages avec des aliments qui n’ont rien à voir dans leur usage et leur consommation : on n’hésite pas au moment de ses achats (ou de son repas) entre un fromage et du ketchup ou entre un fromage et des nuggets de poulet…
2ème faux argument : « Il apparait que le système du Nutri-Score ne tient pas compte de la réalité des portions et des habitudes de consommation en se fondant systématiquement sur la consommation théorique de 100g de produit alors que, pour le fromage la consommation moyenne est de l’ordre de 35 grammes par jour en France »
C’est également un argument repris des éléments de langage du lobby du fromage et notamment du Roquefort, mais aussi utilisé depuis longtemps par de nombreux industriels opposés à Nutri-Score (et dont les produits sont mal classés) : « on ne mange pas 100g de fromages (AOP ou non), 100g de mayonnaise, 100g de rillettes ou 100g de Nutella… donc calculer Nutri-Score pour 100g (ou 100ml) d’aliment et non pas par portion, n’aurait pas de sens ». En effet, Nutri-Score n’a pas la vocation de donner d’informations sur la qualité nutritionnelle d’une portion de l’aliment mais de permettre une comparaison des produits alimentaires sur la base d’une référence commune et ce choix est totalement assumé par les scientifiques qui avaient des raisons légitimes pour le faire :
1) Tout d’abord, les données objectives sur la composition nutritionnelle des aliments qui sont accessibles et utilisables pour calculer et construire un logo d’information nutritionnelle transparent sont présentées dans le tableau nutritionnel qui figure sur la face arrière des emballages des aliments. La liste des éléments indiqués (sucre, sel, gras, calories, protéines,…) et leur mode d’expression ont été définis par la réglementation européenne INCO (n°1169) votée en 2011, notamment l’obligation qu’elles soient présentées pour 100g (ou 100 ml). Nutri-Score ne fait donc que mettre sous une forme graphique synthétique compréhensible par tous, les éléments pertinents du tableau nutritionnel et de la liste des ingrédients. A côté de la présentation obligatoire de la teneur en nutriments pour 100g d’aliments, le règlement INCO offre, certes, la possibilité aux fabricants de fournir une information complémentaire par portion, mais, dans ce cas, celle-ci est définie par les fabricants eux-mêmes (et non pas par des autorités de santé publique).
2) Si les données de composition nutritionnelle sont exprimées obligatoirement pour 100g et non par portion (et servent ainsi de base au calcul du Nutri-Score), et s’il n’existe pas de portions officielles définies par des autorités de santé publique en Europe pour chaque aliment, c’est que définir des tailles de portions standards est impossible pour les aliments spécifiques. En effet, les tailles de portion devraient être adaptées en fonction des besoins énergétiques individuels. Or ces besoins sont différents en fonction de l’âge, du sexe, de l’activité physique, du niveau de sédentarité…. Il n’est donc pas possible de définir un logo unique et universel s’appuyant sur différentes tailles de portions définies pour toutes les populations ou d’afficher plusieurs logos sur les emballages des aliments recommandés en fonction des différents groupes de population.
3) Comme les tailles de portions ne sont pas standardisées elles sont laissées à la discrétion des fabricants eux-mêmes qui très souvent les fixent bien en dessous des portions réellement consommées. Il y a là un réel risque de manipulation: il suffit aux industriels de fixer des tailles de portions plus petites pour réduire artificiellement aux yeux du consommateur les quantités de gras, de sucre ou de sel de la portion de leurs produits. De la même façon que les fabricants de céréales petit déjeuner suggèrent des portions de 30g, alors qu’il est connu que la majorité des adolescents consomment 60 ou 80 g par portion, pour les fromages, les rares fabricants qui affichent une portion, proposent généralement 30 g, alors que celles-ci dans la réalité, notamment chez les grands amateurs de fromage, peuvent être beaucoup plus importantes. A noter que pour la très grande majorité des fromages (AOP/IGP ou non), ne figurent sur les emballages dans le tableau nutritionnel que la composition par 100 g sans ajout d’information sur la composition par portion (ce qui ne semble n’avoir jamais posé problème jusqu’à maintenant pour les producteurs…). Pour la charcuterie (saucissons, saucisses, pâtés, jambons…) AOP/IGP ou non, peu de tailles de portions sont affichées sur les emballages des produits et lorsqu’elles sont présentes elles varient selon les marques allant de 30 à 36 et 40 g par portion (avec des différences parfois pour le même produit en fonction des marques), bien en dessous de portions réellement consommées par des fractions non négligeables de la population. Et si même une portion est indiquée (fixée par le fabricant), se pose la question épineuse de comment, en pratique le consommateur peut évaluer une telle taille de portion sans avoir recours à une balance…
4) Le projet de Loi joue sur la confusion entre la consommation moyenne par habitant d’un aliment et la taille de la portion qui pourrait servir à calculer le logo nutritionnel. La consommation de 35 g de fromage par habitant et par jour avancé par les députés dans leur texte (repris là-encore des éléments de langage des fabricants de Roquefort) est une moyenne qui masque une grande variabilité de consommation.
Les données officielles émanant même des professionnels de la production des fromages (http://www.fromages-de-terroirs.com/marche-fromage1.php3?id_article=652,2005) font état d’une consommation de 25 kg de fromages par an et par habitant et les données de Statista (https://fr.statista.com/themes/3647/le-fromage-en-france/#topicHeader__wrapper) donnent une consommation moyenne annuelle de 26,8 Kg/habitant, ce qui correspond à une consommation moyenne d’environ 70g par jour, soit supérieure à ce chiffre de 35g, ce d’autant plus qu’il existe un pourcentage de consommateurs qui ne mangent pas du tout de fromage.
La consommation moyenne dans une population n’a rien à voir avec la portion consommée par les mangeurs de fromage, qui est la quantité ou la part que l’on se sert au moment du repas. Pour aboutir à une consommation moyenne de 35 g/j/habitant on agrège d’un côté des non consommateurs et, d’autre part, une proportion non négligeable de consommateurs choisissant des portions correspondantes à des quantités beaucoup plus importantes. C’est le principe même d’une moyenne, qui masque les grandes disparités de consommation au sein d’une population.
Au total, il n’est pas possible d’utiliser la référence aux portions pour le calcul d’un logo nutritionnel. La prise en compte d’une quantité standard, telle que 100g (ou 100 ml) est la meilleure référence disponible, un dénominateur commun, permettant une comparaison valide entre les aliments sans induire d’erreur d’estimation. Cela permet de comparer 100 ml d’huile d’olive à 100 ml d’une autre huile; 100g de céréales petit déjeuner à 100g d’autres céréales; 100g d’une pizza à 100g d’une autre pizza; 100 g de Comté, à 100g de Camembert ou de Roquefort ou de Mozzarella…
Quand il s’agit de comparer des produits entre eux, en effet, il est nécessaire de se référer à une valeur de référence. Lorsque l’on compare les prix des produits alimentaires, on se réfère systématiquement au prix au kilo, justement pour s’affranchir des aléas liés au poids du produit. Alors même que, comme pour 100g de produit, on ne consomme pas systématiquement 1kg d’un produit alimentaire…
3ème faux argument « De même, il ne prend pas suffisamment en compte la présence de micro-nutriments bons pour la santé, comme les vitamines, minéraux et oligo-éléments, alors que le fromage reste la principale source de calcium et phosphore dans notre alimentation »
Le Nutri-Score est un outil de transparence sur la composition nutritionnelle, qui doit pour maintenir cette qualité et ainsi conserver la confiance des consommateurs s’appuyer sur les données disponibles de composition nutritionnelle sur le paquet.
Il y a donc une raison pratique évidente à ce que les micro-nutriments comme d’autres éléments nutritionnels d’intérêt ne soient pas utilisés dans son calcul : les données sur la composition des produits de marque en vitamines, minéraux, polyphénols, sucres libres, type d’acides gras,… ne sont pas disponibles car ces éléments ne font pas partie de la déclaration nutritionnelle rendue obligatoire par la réglementation européenne (Règlement INCO, 2011). L’impossibilité d’avoir accès à ces données empêche donc toute capacité de pouvoir les intégrer au développement d’un logo nutritionnel qui se voudrait transparent. Il est donc extraordinaire de voir reprocher au Nutri-Score de ne pas les prendre en compte, ce que, curieusement l’on ne reproche pas à l’étiquetage nutritionnel obligatoire ni aux autres logos nutritionnels qui n’intègrent pas plus ces éléments.
De plus, si les députés s’étaient renseignés auprès des scientifiques, ou seulement informés sur les documents officiels Nutri-Score, ils auraient appris que l’algorithme qui soutient le calcul de Nutri-Score, à la différence des autres logos nutritionnels, intègre dans son algorithme de calcul, outre des éléments nutritionnels dont la consommation doit être limitée (graisses saturées, sel, sucre, calories), d’autres plutôt favorables, tels que les fibres, la quantité de fruits et légumes contenus dans l’aliment et sa teneur en protéines. Pour sa mise au point par une équipe d’universitaires d’Oxford, de nombreuses études ont été développées pour justifier les éléments retenus dans l’algorithme qui sous-tend le calcul du Nutri-Score (compte tenu de leur impact potentiel sur la santé) et pour limiter, par des études de sensibilité, leur nombre et éviter les redondances entre les éléments. Ces études ont montré que les fruits et légumes constituaient un excellent reflet, un « proxy » (substitut) de l’apport en certaines vitamines (comme la vitamine C et le bêta-carotène). De même les protéines, ont été démontrées comme un excellent proxy de certains minéraux (comme le calcium et le fer). Donc contrairement à l’argument avancé dans le projet de Loi, via ses substituts, l’algorithme prend indirectement en compte beaucoup plus d’éléments que la seule liste affichée pour son calcul (notamment des vitamines et des minéraux, comme le calcium).
4ème faux argument « La lecture du Nutri-Score crée donc de la confusion pour les consommateurs auxquels il laisse à penser que les produits sous AOP ou IGP ne sont pas des produits de qualité, ce qui est contradictoire avec la définition de ces labels, voire qu’ils ne seraient pas bon pour la santé… ».
Cet argument, une fois de plus copié de ceux mis en avant par les secteurs agricoles concernés (notamment de la Confédération Générale du Roquefort) est totalement trompeur et joue sur une surexploitation de l’appellation AOP/IGP présentée comme une garantie quant à la qualité nutritionnelle et la valeur santé des aliments. Les labels AOP et IGP sont des appellations et indications hautement respectables qui fournissent des garanties en termes de modes de production plus vertueux, le rattachement du produit au terroir et sa fabrication selon un savoir-faire spécifique (voire ancestral). Ce sont tous des éléments d’intérêt pour l’information des consommateurs qui, bien sûr, méritent d’être soutenus. Mais attention, à aucun moment ces labels n’intègrent dans leur définition la notion de « valeur nutritionnelle » (ce n’est pas leur rôle). Il est donc faux de laisser entendre que le fait d’afficher ces labels confèrerait à ces produits alimentaires une qualité nutritionnelle qu’ils n’ont pas. Même avec un label AOP ou une IGP, les fromages ou les charcuteries riches en acides gras et en sel et caloriques restent riches en acides gras et en sel et caloriques. Une AOP/IGP ne ‘vaccine’ pas contre une composition nutritionnelle défavorable.
Faire partie du patrimoine gastronomique n’a rien à voir avec le fait d’avoir une bonne qualité nutritionnelle favorable à la santé. Les aliments AOP/IGP, comme tous les autres, doivent donc également jouer le jeu de la transparence nutritionnelle et ne peuvent être exemptés de l’affichage du Nutri-Score qui doit venir en complément de leurs labels reflétant d’autres qualités des produits. Et il faut garder à l’esprit que, si les fromages ou les charcuteries (AOP ou non) sont majoritairement classés Nutri-Score D ou E du fait de leur richesse en graisses saturées et en sel, ceci ne veut absolument pas dire qu’ils ne doivent pas être consommés, mais Nutri-Score D ou E rappelle qu’ils doivent l’être en quantité limitée ou à une moindre fréquence.
L’affichage du Nutri-Score sur ces produits est tout à fait en ligne avec le concept de « consommer moins mais mieux »… Pour un même budget, s’il faut finalement limiter la consommation dont la composition nutritionnelle n’est pas la plus favorable, comme l’indique Nutri-Score, la présence des autres labels (AOP ou IGP) permettent d’orienter les choix, au sein de ces catégories, vers des produits qualitatifs, locaux, artisanaux… Il n’y a donc aucune contradiction entre le fait de faire figurer sur les emballages des aliments à la fois le Nutri-Score qui renseigne sur la composition/qualité nutritionnelle des aliments et l’appellation AOP/IGP qui renseigne sur d’autres éléments non nutritionnels d’intérêt pour impacter le choix des consommateurs. Ces deux labels sont donc parfaitement justifiés.

5ème faux argument « Les conditions de production de chaque AOP/IGP sont consignées dans un cahier des charges validé par l’Etat et l’Union Européenne et contrôlées de manière régulière par des organismes indépendants. Expression d’un terroir et d’un savoir-faire ancestral, leurs cahiers des charges définissent la composition et le mode de fabrication du produit. Leurs fabricants n’ont donc pas la possibilité de reformuler leurs produits au même titre que les autres fabricants dans le but d’obtenir une meilleure note au Nutri-Score.
Les objectifs de Nutri-Score sont 1) d’aider les consommateurs à comparer la composition nutritionnelle d’aliments comparables pour orienter leurs choix vers des aliments plus favorable à la santé, s’il existe des alternatives, et 2) stimuler les industriels et fabricants à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments, lorsque cela est possible. En aucun cas, il n’est attendu de modification de la recette des produits AOP/IGP classés D et E, ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de tous les aliments AOP/IGP (il faut rappeler qu’il y a des produits AOP/IGP classés A par Nutri-Score, comme les pommes du Limousin, les lentilles du Puy, les mogettes de Vendée, les noix de Grenoble, les moules de Bouchot, les Cocos de Paimpol,..). Comme il est rappelé dans la communication qui l’accompagne, Nutri-Score n’interdit la consommation d’aucun aliment et notamment, en aucun cas la consommation des produits D ou E. Il recommande, certes, de tendre vers des alternatives mieux classées si elles existent dans la gamme des aliments comparables en termes d’usage, et ne fait qu’informer le consommateur que pour les produits D et E, leur consommation doit être limitée en quantité et en fréquence. Bien évidemment, les fromages et charcuteries AOP/IGP ne sont pas plus mal classés que ceux qui ne le sont pas. Ils se retrouvent dans les mêmes catégories de Nutri-Score mais l’adjonction des labels AOP/IGP permet d’informer le consommateur sensible aux aspects de terroir et/ou aux modes de production plus « vertueux », qu’à niveau nutritionnel équivalent, il vaut mieux favoriser ceux qui bénéficient de ces appellations… C’est bien l’intérêt de juxtaposer les deux informations.
En conclusion, même s’il faut soutenir les aliments AOP/AOC produits de façon traditionnelle et promouvoir leur mode de production, il ne faut pas occulter l’information sur leur composition nutritionnelle, comme pour tous les autres aliments. C’est un droit des consommateurs d’être informés ! Bien évidemment rien n’empêche de communiquer sur le fait que, parmi les fromages, il est intéressant de privilégier ceux qui sont AOP ou IGP par rapport à ceux qui ne le sont pas mais sans occulter la réalité de leur composition nutritionnelle: « consommer moins mais mieux ». Il est clair que les députés signataires de cette proposition de Loi n’ont pas consulté les textes, articles, rapports des autorités de santé publique et des sociétés savantes d’experts travaillant dans le champ de la nutrition, la santé publique, l’éducation pour la santé, la cancérologie, les maladies cardio-vasculaires, l’hépatologie… qui soutiennent l’application de Nutri-Score de façon obligatoire sur tous les aliments en s’appuyant sur la science qui est derrière Nutri-Score. Ils n’ont pas, non plus, écouté les associations de consommateurs et nombreuses ONGs qui plébiscitent le déploiement du Nutri-Score sur l’ensemble des produits pour aider les consommateurs à tendre vers des choix alimentaires favorables à la santé.
Ils ont, par contre, repris in extenso et sans analyse critique les arguments des associations de fabricants de fromage et des grands groupes industriels qui les contrôlent. Il faut dire que la plupart des députés signataires sont des élus des zones de production de fromages et charcuteries AOP/IGP… Bref cette proposition de Loi sans aucune base scientifique et de santé publique, dictée par la défense d’intérêts économiques dans une perspective purement électoraliste, est totalement inacceptable.
Serge Hercberg, Pilar Galan, Bernard Srour, Emmanuelle Kesse-Guyot,
Mathilde Touvier
Université Sorbonne Paris Nord. Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle U1153 (Institut National de la Santé et de al la Recherche Médicale / Institut National de la Recherche Agronomique/CNAM/Université Sorbonne Paris Nord), Bobigny, France.
Dép. de Santé Publique, Hôpital Avicenne, Bobigny, France.