En tant que nutritionnistes de santé publique académiques travaillant depuis de longues années dans le champ de la prévention des maladies chroniques, nous sommes, comme tous nos collègues, toujours intéressés par les avis, les commentaires et les critiques scientifiques qui visent nos travaux de recherche ou les mesures de santé publique qui peuvent en découler. C’est la base du débat scientifique et de santé publique et nous en sommes ravis d‘y participer. Travaillant dans le champ de la recherche épidémiologique et ayant eu pour plusieurs d’entre nous des responsabilités dans la conduite de recherche sur des grandes cohortes (SUVIMAX, NutriNet-Santé, PREDIMED2…) dont les résultats ont permis de servir de base à des propositions de mesures de santé publique visant à orienter les politiques publique nationale, nous acceptons avec intérêt ce débat scientifique. Encore faut-il que le débat repose sur des bases réellement scientifiques et ne soit pas dicté par la défense d’intérêts commerciaux (c’est le cas des lobbys de l’agro-alimentaire qui ont souvent une interprétation partiale reprenant dans la science ce qui les intéressent ,…) ou des raisons idéologiques ou sectaires, comme on peut le voir parfois sur les réseaux sociaux, portées par des gourous ou des influenceurs surtout motivés par la volonté d’être « liké » ou de gagner plus des followers (qui hélas sont souvent attirés par les discours « anti-tout »…).
Dans tous les champs de la santé publique (tabac, alcool, alimentation,…) nous sommes habitués aux tentatives de déstabilisation par les industriels qui essayent de jeter le doute sur la science pour bloquer ou, à défaut, retarder des mesures de santé publique qui les gênent. Mais, depuis quelques années, les mesures de santé publique et les travaux scientifiques qui les sous-tendent font l’objet d’un nouveau type d’attaques liées, notamment, au développement des outils digitaux. En effet, les réseaux sociaux permettent à tous, spécialistes ou non du domaine concerné, de s’exprimer et donner un avis sur n’importe quel sujet. La santé et l’alimentation « alimentent » ainsi de nombreux débats passionnés ou l’on retrouve souvent, sous forme péremptoire, des avis et des jugements émanant de personnes qui n’ont pourtant aucune ou peu de légitimité. Même s’ils ne s’appuient pas sur des bases scientifiques, ces débats dans les médias et dans les réseaux sociaux ont un intérêt certain: ils permettent aux scientifiques d’entendre les questions que se posent le grand public et la façon dont ce grand public perçoit les mesures de santé publique (après-tout c’est pour eux que les scientifiques proposent les mesures de santé publique visant à améliorer leur santé par exemple); et entendre la voix des acteurs de terrain souvent en première ligne pour répondre aux questions du grand public (consommateurs ou patients). A ce titre, le rôle des réseaux sociaux peut être d’une grande utilité pour les scientifiques en charge d’élaborer les mesures de santé publique. Ceci amène les techniciens de santé publique à prendre en compte l’expression des usagers et des professionnels pour affiner les mesures elles-mêmes ou la communication faites autour des mesures.
Le logo d’information nutritionnel Nutri-Score développé en France par une équipe de recherche universitaire (Université Sorbonne Paris Cité, Paris 13) rattachée à l’INSERM et à l’INRAe n’échappe pas à la règle. En tout premier lieu, Nutri-Score a fait d’abord l’objet de très nombreuses critiques par tous les industriels dès son apparition officielle dans un rapport officiel remis en janvier 2014 à la ministre de la santé de l’époque. Rappelons que, quand il fut proposé en France par les scientifiques, absolument aucune entreprise ne s’est prononcée en faveur du Nutri-Score. Elles ont condamné Nutri-Score sur la base de pseudo-arguments le déclarant stigmatisant, réducteur, simpliste, faux, incomplet,… tout en niant les résultats des études scientifiques le supportant. Durant 4 années, les grands groupes de pression agro-alimentaires ont développé toutes les stratégies possibles pour bloquer, retarder, discréditer Nutri-Score. On a même vu, en mars 2017 six grandes multinationales agroalimentaires (CocaCola, Pepsi, Nestlé, Mars, Unilever, Mondelez) s’associer (le « Big6 ») pour proposer leur propre modèle de logo nutritionnel, l’«Evolved Nutrition Label» qui, on pouvait s’y attendre, bénéficiait à leurs produits. Fort heureusement, les différents acteurs sociétaux (scientifiques, professionnels de santé, associations de consommateurs,…) se sont mobilisés pour démontrer l’intérêt du logo Nutri-Score en tant qu’outil de santé publique.
Ainsi, la pression sociétale et les travaux scientifiques ont fini par faire plier certains des grands groupes du Big6 qui s’étaient opposés au Nutri-Score. Cela a d’abord été le cas de Nestlé (en novembre 2019), puis Kellogg’s (en janvier 2020). C’est un grand motif de satisfaction de voir que ces très grosses firmes ont fini par accepter de fournir une transparence sur la qualité nutritionnelle de leurs produits et adhérer au Nutri-Score, compte-tenu qu’une partie des produits qu’ils commercialisent ne sont pas les mieux placés sur l’échelle du Nutri-Score (ils ont l’obligation d’afficher Nutri-Score sur l’ensemble des produits qu’ils commercialisent). Par contre certaines grandes multinationales, comme Coca-Cola, Ferrero, Mars, Mondelez, Unilever, Kraft, General Mills, et d’autres sociétés continuent à nier les évidences de la science, de la santé publique et la demande des consommateurs (notamment celle exprimée au niveau européen par le BEUC et les 43 associations nationales qui y sont associées) et refusent toujours d’adopter le Nutri-Score. De nombreux articles publiés dans des revues scientifiques ont parfaitement décrit les différentes stratégies mises en place par les lobbys pour essayer de torpiller Nutri-Score. C’est pour cela qu’il est très surprenant d’entendre ou de lire certains commentateurs sur les réseaux sociaux ou dans divers médias refaire l’histoire à leur manière et affirmer gratuitement que Nutri-Score « fait le jeu » des industriels car il favoriserait les aliments ultra-transformés ! Qu’ils aillent donc demander à Coca-cola, Ferrero, Mars, Mondelez, Unilever, Kraft et tous les autres industriels qui fabriquent essentiellement des aliments ultra-transformés pourquoi ils combattent toujours aussi violemment Nutri-Score ! Et si Nestlé, Danone, ou Kellogg’s ont fini, après plusieurs années de combat, par accepter Nutri-Score et plier sous la pression de la science et la demande des consommateurs, il faut plutôt se réjouir, pour une fois, de la victoire des consommateurs et de la santé publique et continuer à faire pression sur toutes les autres sociétés qui refusent toujours d’adopter Nutri-Score.
Il n’en demeure pas moins que la question des aliments ultra-transformés est une question scientifique réelle, tout comme celle des effets des pesticides et des aliments Bio (question curieusement beaucoup moins abordée par ceux qui critiquent Nutri-Score sur les réseaux sociaux ou dans les médias).
On ne peut pourtant pas taxer les équipes qui ont développé Nutri-Score de ne pas s’intéresser à ces problématiques. Elles ont travaillé avec le Prof Carlos Monteiro, créateur brésilien de la classification NOVA qui classe les aliments en fonction de leur degré de transformation et publié plusieurs travaux démontrant les effets délétères des aliments ultra-transformés sur la santé, notamment par rapport au risque de cancers, de maladies cardiovasculaires, d’obésité,… De la même façon, sur la problématique des aliments Bio, les travaux de l’équipe qui a développé le Nutri-Score ont permis de montrer sur une large cohorte de 69 000 sujets un moindre risque de cancer chez les consommateurs d’aliments Bio. Mais malgré l’importance de ces approches, comme nous l’avons dit à de très nombreuses reprises, Nutri-Score n’intègre pas dans son calcul les additifs, le degré de transformation et les pesticides. Ce choix est pleinement assumé pour Nutri-Score comme, d’ailleurs, pour tous les autres logos nutritionnels mis en place dans le monde (pour plus de détails, consultez l’article publié dans The Conversation: https://theconversation.com/le-nutriscore-mesure-la-qualite-nutritionnelle-des-aliments-et-cest-deja-beaucoup-99234), et est lié à l’impossibilité à l’heure actuelle de développer un indicateur synthétique unique capable de couvrir l’ensemble de ces dimensions. Le Nutri-Score est un système simple d’information nutritionnelle (ce qui est déjà beaucoup !), dont l’efficacité a été démontrée pour orienter les choix des consommateurs (notamment les plus défavorisés) vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle. Mais en aucun cas il n’a la prétention d’être un système d’information complet sur l’effet ‘santé’ global des aliments couvrant, en plus de la dimension nutritionnelle, les dimensions sanitaires et environnementales.
Synthétiser l’ensemble des dimensions santé des aliments au travers d’un indicateur unique et fiable, qui prédirait globalement le risque pour la santé serait, à l’évidence, le rêve de tout scientifique acteur de Nutrition de Santé Publique et serait particulièrement utile pour les consommateurs. Mais ce n’est pas par hasard, et surement pas par incompétence, si aucune équipe de recherche dans le monde, aucune structure de santé publique, aucun comité d’experts national ou international, ni même l’OMS n’a pu concevoir un tel indicateur synthétique. Ceci peut s’expliquer par plusieurs raisons :
1) D’abord les niveaux de connaissances et le degré de certitude concernant les liens avec la santé diffèrent selon les dimensions considérées. L’accumulation de nombreux travaux épidémiologiques, cliniques et expérimentaux permettent d’affirmer qu’il existe pour certains éléments nutritionnels (nutriments/aliments) un niveau de preuve documenté et solide sur leur conséquence sur le risque de maladies chroniques allant de « probable » à « convaincant » dans les classifications internationales. Pour les autres dimensions notamment celles se référant aux additifs, aux composés néo-formés ou aux contaminants (pesticides, antibiotiques, perturbateurs endocriniens), il existe certes des hypothèses sur la santé, mais avec des niveaux de preuves très différents (notamment en termes d’études chez l’homme).
2) Une raison qui découle de la précédente : il est en effet actuellement impossible de pondérer la contribution relative de chacune des dimensions d’un aliment sur le risque pour la santé, pour aboutir à une note synthétique qui idéalement serait prédictive d’un niveau de risque global par rapport aux maladies chroniques. Pourtant certaines applications le proposent, mais elles ne reposent sur aucune base scientifique valide. Les questions méthodologiques sont nombreuses et encore non résolues : mesure précise du risque attribuable à chacune des dimensions, à chacun des différents composants potentiellement incriminés, effet cocktail potentiel des additifs, etc. De fait, calculer un index unique pour caractériser la qualité sanitaire globale d’un aliment, qui pourrait aboutir à un jugement dans l’absolu (excellent, bon, médiocre,…) ne repose pas sur des bases scientifiques suffisamment solides et présente un caractère arbitraire.
3) Enfin, en ce qui concerne les additifs et les pesticides, en cas de preuve d’un risque pour la santé, la réponse à apporter d’un point de vue de la santé publique n’est pas l’information du consommateur au travers d’un logo, mais bien le retrait de l’élément en question de la chaîne alimentaire, selon un principe de gestion du risque sanitaire.
Ainsi il n’est donc pas possible de critiquer Nutri-Score, ni les autres logos tels que les traffic light anglais, les étoiles australiennes, la clé verte suédoise ou le système d’avertissements chilien,… sous prétexte qu’ils ne prennent pas en compte les processus de transformation des aliments. C’est une limite qu’il faut pour le moment accepter. Par contre la notion d’aliments ultra-transformés est une information importante qui doit faire l’objet d’une communication spécifique complémentaire à celle des logos qui ne renseignent que sur la dimension nutritionnelle.
Tout de même, il est bon de rappeler que la grande majorité des aliments classés dans les catégories D ou E du Nutri-Score sont des aliments ultra-transformés. Cependant, comme le savent parfaitement les structures en charge du développement du Nutri-Score et de sa mise à jour et comme le font également remarquer certains commentateurs sur les réseaux sociaux, il existe un nombre de cas limité d’aliments où Nutri-Score peut poser des problèmes de compréhension lorsque l’on est confronté à certains aliments dont la composition nutritionnelle peut être acceptable mais qui sont ultra-transformés. C’est le cas notamment des boissons contenant des édulcorants (certes moins bien classées sur le plan nutritionnel que l’eau qui est la boisson de référence, mais correctement classée par Nutri-Score car, comme indiqué sur leur tableau de valeurs nutritionnelles, ils ne contiennent pas de sucres, de gras et de sel et n‘apportent pas de calories) mais pourtant ultra-transformé (présence d’édulcorants). Il y a bien sur ce point une vraie question de cohérence à résoudre et qu’il est légitime de soulever (ce que font d’ailleurs les concepteurs de Nutri-Score). Mais cela n’a rien à voir avec l’argument mis en avant par des détracteurs de Nutri-Score qui condamnent Nutri-Score en comparant le Nutri-Score du CocaCola Zero (boisson ultra-transformée) avec celui de l’huile d’olive… Nous avons pourtant répondu maintes fois sur ce point et expliqué à de nombreuses reprises que Nutri-Score ne fournit pas d’informations en valeur absolue sur la qualité nutritionnelle des aliments. Nutri-Score fournit des informations en valeur relative afin de faciliter pour les consommateurs les comparaisons entre les aliments au sein d’une même famille alimentaire ou pour un même aliment entre différentes marques. Et, dans le cas de comparaisons entre des aliments appartenant à des familles différentes, celles-ci n’ont d’intérêt et de sens que si elles répondent à une vraie pertinence, c’est-à-dire qu’elles comparent des aliments qui sont «comparables» dans leurs conditions d’utilisation ou d’achat par les consommateurs. Ce dernier point, qui est fondamental, n’est jamais intégré par ceux qui attaquent Nutri-Score en reprenant de façon brutale cette comparaison entre des aliments qui n’ont pas de raison de l’être : on n’hésite pas entre une canette de soda et une huile pour assaisonner sa salade ou pour se désaltérer… La vraie question est qu’il est utile de fournir aux consommateurs les moyens de classer le coca Zero par rapport aux autres boissons (comme l’huile d’olive par rapport aux autres matières grasses ajoutées); et ceci nécessite de rediscuter clairement le positionnement des boissons édulcorées.
Mais le constat de ce type « d’imperfection » ne devrait pas être suffisant pour condamner tout le système comme on peut souvent le lire sur les réseaux sociaux. Ce d’autant plus qu’il est prévu une mise à jour régulière de l’algorithme qui sous-tend le Nutri-Score. En effet, dès la conception du Nutri-Score et lors de son adoption officielle, une mise à jour régulière de l’algorithme qui le sous-tend a été prévue et programmée. Cette mise à jour se basera exclusivement sur des données scientifiques (sans laisser de place aux lobbies qui voudraient dénaturer Nutri-Score en leur faveur) et, évidemment la question des boissons édulcorées (comme certaines autres) sera sans aucun doute abordée par les scientifiques indépendants qui seront dans un avenir proche, au niveau européen, en charge de cette mise à jour…
Mais en attendant, il est dès-à-présent important de correctement situer Nutri-Score dans le cadre d’une politique nutritionnelle de santé publique cohérente, notamment par rapport aux autres messages complémentaires de santé publique : recommander à la population une alimentation basée principalement sur des aliments bruts (ou avec un faible degré de transformation), de proximité et saisonniers. Dans le même temps, il est recommandé, dans le cas des denrées alimentaires préemballées, de choisir celles affichant le meilleur Nutri-Score possible, sans ou avec la plus courte liste possible d’additifs (dans la liste des ingrédients) et de privilégier les aliments bruts et, si possible, Bio (avec un logo certifiant) et réduire la part des aliments ultra-transformés.
Même si Nutri-Score présente quelques faiblesses dont certaines peuvent faire l’objet d’améliorations, il est important de rappeler à ceux qui utilisent ce prétexte pour condamner en bloc Nutri-Score, qu’il fonctionne tout-de-même parfaitement pour des dizaines de milliers d’aliments (vraisemblablement plus de 98 % des aliments). Oui, aucun logo nutritionnel ne peut être parfait à 100 %. Aucun n’est capable, à lui tout seul, de couvrir correctement et sans faille toutes les dimensions santé des aliments. Nous devons donc être humbles et être conscients des limites ce type d’outil de santé publique. Et ce n’est pas parce qu’on ne peut construire un logo totalement parfait, qu’il faut rejeter un logo qui a démontré son utilité globale. Il est important de rappeler que Nutri-Score a été établi en s’appuyant sur des preuves scientifiques solides qui ont permis de valider son algorithme de calcul et son format graphique ainsi que son impact sur la qualité nutritionnelle des achats alimentaires. Comment condamner Nutri-Score comme le font certains commentateurs sur les médias digitaux en attaquant l’algorithme qui le soutient et en omettant de citer les nombreux travaux scientifiques qui l’ont validé ? Donner un avis basé uniquement sur une vision personnelle et souvent sans aucune légitimité (aussi intéressante soit-elle pour le débat intellectuel) ou pour défendre certains intérêts économiques n’est pas acceptable si l’on ne rappelle pas, en même temps, le grand nombre de travaux épidémiologique qui soutiennent son intérêt.
Rappelons que le calcul du Nutri-Score est basé sur un algorithme développé au milieu des années 2000 par des équipes de scientifiques d’Oxford. Il a été développé et validé à partir de multiples études réalisées depuis 2012 en collaboration avec l’OMS, des chercheurs australiens et des équipes européennes.
Il est donc tout à fait regrettable de voir parfois sur les médias digitaux, de violentes critiques sur l’algorithme Nutri-Score, qui nient totalement les multiples travaux réalisés sur des grandes cohortes en France, en Espagne et en Europe (sur des dizaines voire centaines de milliers de personnes suivies pendant plusieurs années). Pourtant ces grandes études épidémiologiques ont retrouvé de façon constante que la consommation d’aliments mal classés par l’algorithme de Nutri-Score était associée prospectivement à un risque accru de développer des cancers, des maladies cardiovasculaires, un syndrome métabolique, une obésité et avec la mortalité par maladies chroniques. C’est un point majeur quand on veut discuter de l’efficacité d’un logo comme Nutri-Score. Sur un plan scientifique, c’est la meilleure démonstration qui puisse être faite en ce qui concerne la pertinence et la fiabilité de l’algorithme Nutri-Score en termes de choix des éléments incorporés dans son calcul, l’attribution des points pour les éléments utilisés et les seuils sélectionnés. Curieusement, ces importantes publications scientifiques ne sont le plus souvent pas citées par ceux qui veulent condamner le Nutri-Score.
D’autre part, on voit souvent, notamment dans les pays du sud de l’Europe, des attaques soutenant que le Nutri-Score n’est pas adapté au contexte des pays méditerranéens voire s’opposerait au modèle bénéfique de l’alimentation méditerranéenne, niant là encore, les travaux démontrant la cohérence du Nutri-Score avec le modèle alimentaire méditerranéen. Ces attaques absurdes et infondées provenant de certains influenceurs, internautes individuels ou lobbys économiques ou politiques vont jusqu’à mettre en cause la méthodologie d’articles publiées dans des revues scientifiques internationales qui ne vont pas dans le sens de ce qu’ils voudraient…. Il est d’ailleurs quelque peu étonnant que des internautes qui ne représentent qu’eux-mêmes (ou des intérêts qui n’ont rien à voir avec la santé publique), qui n’ont jamais effectué d’études ou de publications scientifiques se permettent de critiquer la méthodologie d’articles publiées dans des revues scientifiques à comité de lecture, et vont dans certains cas contredire les conclusions des auteurs du travail….
C’est ce que l’on a pu voir récemment sur les réseaux sociaux par rapport à l’important travail de l’équipe d’épidémiologistes de la nutrition espagnole en charge de la cohorte SUN qui a montré sur une population de plus de 20 000 sujets espagnols suivis pendant 10 années, la validité du score sous-tendant le Nutri-Score par son association avec la mortalité totale et notamment par cancer, mais également que l’algorithme de calcul du Nutri-Score était en parfaite cohérence avec les recommandations de Santé Publique espagnoles et avec le modèle de l’alimentation méditerranéenne (évalués par différents indices). Il est intéressant de noter que la conclusion des auteurs espagnols est que leurs résultats soutiennent l’intérêt de la mise en place du Nutri-Score dans les pays européens méditerranéens (ce qui inclut l’Espagne, l’Italie, la Grèce…). Or cette étude n’est pas citée voire est critiquée quant à sa méthodologie par des détracteurs qui souhaitent véhiculer l’idée absurde que Nutri-Score s’oppose à l’alimentation méditerranéenne…
Finalement l’histoire du Nutri-Score est assez emblématique. Après avoir fait face pendant plusieurs années aux critiques infondées des industriels (et encore reprises par de nombreuses firmes multinationales qui restent très actives pour le combattre), Nutri-Score est aujourd’hui confronté à une nouvelle forme d’attaques au travers les réseaux sociaux. Ces nouvelles critiques ne se veulent pas constructives : ce ne sont pas celles que tout citoyen ou professionnel est en droit de se poser pour contribuer à améliorer l’outil là où il peut présenter des faiblesses. Au contraire, il s’agit d’attaques souvent violentes (et parfois insultantes) qui visent à rejeter en bloc Nutri-Score et ne cherchent pas à l’améliorer ! Le plus souvent, elles ne s’appuient pas sur de la science mais sur une vision biaisée purement personnelle de leurs auteurs par incompétence ou par intérêt (on y retrouve des influenceurs, bloggeurs, internaute lambda, lobbys…) omettant de prendre en compte ou discréditant les travaux scientifiques qui perturbent leur raisonnement ou qui contredisent leurs affirmations.
Il est important de rappeler à ces détracteurs que les travaux scientifiques ont fait l’objet, avant d’être acceptés pour publication dans des revues scientifiques internationales, d’un processus scientifique rigoureux d’évaluation par des comités de lecture indépendants. Le manque de modestie et d’humilité de certains (parfois du fait de leur intérêt personnel ou des groupes de pressions qu’ils représentent) est d’autant plus surprenant que ces commentateurs n’ont pas réalisé eux-mêmes, ni participé à des travaux scientifiques (qui mobilisent des équipes de recherche prennent souvent des mois ou des années pour être réalisés) ou publié des résultats d’études (ou travaillé dans des domaines très éloignés des logos nutritionnels). En général, ils se contentent de lire les travaux des autres (et parfois seulement le résumé des articles) et de les interpréter à leur façon pour coller avec leur vision personnelle !
Le rôle de vulgarisateur de la science est suffisamment important et respectable pour que les blogueurs qui revendiquent ce titre ne se substituent pas aux scientifiques pour réinterpréter les travaux ou soutenir des théories non étayées…
Au total, ce qui différencie les scientifiques des gourous (et de certains blogueurs, influenceurs et lobbys), c’est que les scientifiques « croient ce qu’ils voient » sans à priori et font des études scientifiques dans le but de faire progresser les connaissances et la santé publique, alors que les gourous (et apparentés) eux « voient ce qu’ils croient » et sans faire de travaux, réécrivent la science comme ils le souhaitent pour faire passer leurs idées personnelles ou leur propre bénéfice…
Donc merci à ceux qui, sur les réseaux sociaux fournissent des critiques constructives et utiles pour améliorer Nutri-Score. Leurs remarques sont utiles. Par contre les critiques infondées dictées par des raisons qui n’ont rien à voir avec la santé publique sont inacceptables et inutiles !
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Un résumé de ce texte (en espagnol) a été publié dans El Confidential, le 24 août 2020 : https://www.alimente.elconfidencial.com/consumo/2020-08-24/nutri-score-debete-cientifico-alimentacion-basada-en-ciencia_2720679/
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Serge Hercberg1, Pilar Galan2, Nancy Babio3, Jordi Salas-Salvadó4
1 Université Sorbonne Paris Nord. Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle U1153 (Inserm/Inrae/CNAM/Université Sorbonne Paris Nord), Bobigny, France. Unité de Nutrition et Santé Publique, Dép. de Santé Publique, Hôpital Avicenne, Bobigny, France.
2 Université Sorbonne Paris Nord. Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle U1153 (IInserm/Inrae/CNAM/Université Sorbonne Paris Nord.
3 Unidad de Nutrición Humana, Universitat Rovira i Virgili, Investigadora adscrita al IISPV, Reus, y al Centro de Investigación Biomédica en Red Fisiopatología de la Obesidad y la Nutrición (CIBEROBN), Instituto de Salud Carlos III, Madrid, España.
4 Departamento de Bioquímica y Biotecnología, Unidad de Nutrición Humana, Universitat Rovira i Virgili. Hospital of Sant Joan de Reus, IISPV, Reus. Centro de Investigación Biomédica en Red Fisiopatología de la Obesidad y la Nutrición (CIBEROBN), Instituto de Salud Carlos III, Madrid, España.