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Réponses à ceux qui mettent en avant les obstacles dus à la réglementation européenne pour réfuter la capacité de rendre obligatoire Nutri-Score en France (ou dans tout autre état-membre de l’UE)

Les justifications pour rendre obligatoire le Nutri-Score en France

Depuis l’arrêté interministériel du 31 octobre 2017, l’apposition du logo Nutri-Score sur la face avant des emballages des aliments repose sur le volontariat des opérateurs économiques. Cette approche facultative, bien qu’ayant favorisé une adoption partielle du dispositif sous la pression sociétale (1500 marques ont adopté le Nutri-Score, ce qui représente environ 60 % du marché alimentaire en France), elle demeure insuffisante pour garantir une information nutritionnelle transparente, accessible et compréhensible qui soit optimale pour permettre d’orienter les choix des consommateurs vers une alimentation plus favorable à la santé. Diverses grandes entreprises, qui l’ont combattu depuis qu’il a été proposé, refusent toujours de l’afficher (Ferrero, Lactalis, Coca-Cola, Mars, Mondelez, Kraft, Unilever…) et certaines qui l’avait finalement adopté (Danone, Bjorg, Cristaline) ont décidé de ne plus l’afficher suite à la mise en place en mars 2025 du nouveau Nutri-Score mis à jour par les scientifiques et plus sévère pour les produits sucrés et les boissons édulcorées.     
             
Or, dans un contexte d’augmentation continue du surpoids et de l’obésité au sein de la population — touchant en France un adulte sur deux et près d’un enfant sur cinq —et de l’incidence élevée des maladies chroniques liées à la nutrition (cancers, maladies cardiovasculaires, diabète…) qui ont un coût humain, social et économique considérable, l’État français a le devoir, de prendre toutes mesures visant à préserver et promouvoir la santé publique.

En effet, l’État est responsable de la protection de la santé des consommateurs. En France, l’Article L1110-1 du Code de la Santé Publique rappelle que le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous les moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Le Code de la santé publique stipule que la prévention des risques pour la santé est une priorité, en réglementant la production et la distribution des produits de consommation. En termes d’information des consommateurs, l’État doit veiller à ce que les consommateurs soient bien informés sur les produits, notamment par des étiquetages clairs et des campagnes de sensibilisation.

Comme l’ont montré de nombreux travaux scientifiques (plus de 150 études publiées en Europe), le Nutri-Score est un outil de santé publique efficace pour améliorer l’état nutritionnel de la population contribuant à réduire le risque de maladie chroniques. Plus d’une centaine d’études développées dans 20 pays ont permis de démontrer son intérêt et son efficacité pour améliorer les apports alimentaires et nutritionnels des consommateurs dans un sens favorable à la santé. De nombreuses études épidémiologiques portant sur de larges populations incluant des dizaines de milliers de participants suivis de nombreuses années (jusqu’à 500 000 personnes suivies pendant une quinzaine d’années), ont mis en évidence que manger des aliments mieux classés sur l’échelle du Nutri-Score était associé à une réduction significative de risque de développer des maladies chroniques comme l’obésité, le diabète, certaines formes de cancer et les maladies cardiovasculaires et de réduire la mortalité. Les travaux scientifiques accumulés depuis plusieurs années démontrent clairement que le Nutri-Score peut contribuer à réduire le risque des pathologies chroniques qui constituent les enjeux majeurs de santé publique auxquels nous sommes confrontés en France. Mais pour être pleinement efficace, il doit être affiché sur l’ensemble des aliments mis à disposition des consommateurs.

Sur la base des données scientifiques disponibles et des arguments de santé publique, plus de 2500 scientifiques et professionnels de santé soutenus par 57 sociétés savantes (représentant des dizaines de milliers d’experts), des associations de consommateurs et de patients et de multiples ONGs concernées ont signé un appel pour que le gouvernement français rende le Nutri-Score obligatoire. Pour réduire les dépenses de santé, l’Assurance Maladie dans son rapport «Charges et produits pour 2026 » publié en 2025, a également proposé de rendre obligatoire Nutri-Score pour tous les produits alimentaires emballés et dans les publicités. C’est également la position de la Cour des Comptes, qui dans 2 rapports publiés en 2019 et 2025 (respectivement sur l’obésité et le diabète), a considéré que le Nutri-Score devrait être rendu obligatoire sur l’emballage de tous les aliments pour être pleinement efficace. Dans le même sens, en 2025, 144 parlementaires ont signé une tribune publiée dans l’Express demandant qu’il devienne obligatoire. Nutri-Score est également plébiscité par les consommateurs : environ 94% des Français soutiennent la mesure et serait favorable à ce que le Nutri-Score devienne obligatoire.

A l’instar d’autres Etats Membres (la Belgique, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Espagne), la France a plaidé de nombreuses fois auprès de la Commission européenne pour l’adoption obligatoire au niveau européen d’un étiquetage nutritionnel complémentaire face avant tel que le Nutri-Score (le plus utilisé en Europe, le plus reconnu scientifiquement, le plus soutenu par les professionnels de santé et le plus plébiscité par les consommateurs).  Malheureusement, en dépit de l’intérêt sanitaire d’une telle mesure pour la santé des Européens et de la reconnaissance et du soutien de la part de grandes organisations officielles (telles que l’IARC, l’OMS-Europe, l’OCDE, le JRC, l’EUPHA) ou d’ONG actives dans le domaine de la santé et de la défense des consommateurs (tels que EUROHEALTH, FOODWATCH, BEUC, European Court of Auditors’s special report on food labelling…), la CE qui s’était engagée en 2020 dans le cadre de sa stratégie Farm to Fork à mettre en place un logo nutritionnel basé sur la science obligatoire en Europe, n’a pas progressé sur ce dossier.
L’instauration du Nutri-Score à titre obligatoire en France pour améliorer la santé des consommateurs en réduisant le risque de maladies chroniques, est donc à envisager en l’absence d’harmonisation européenne. 

En fournissant des informations claires et intuitives, scientifiquement fondées et facilement compréhensibles par tous sur la qualité nutritionnelle globale des aliments, le Nutri-Score a déjà prouvé qu’il permettait aux consommateurs, même ceux disposant de peu de temps pour faire leurs courses ou les populations défavorisées avec un faible niveau de connaissances nutritionnelles, de faire des choix éclairés et qu’il incitait les fabricants à reformuler leurs produits de manière favorable en terme de teneurs en graisses saturées, en sucre, en sel, en fibres, en fruits et légumes, etc. Il s’agit donc d’un outil de santé publique susceptible de réduire les inégalités sociales de santé.

L’affichage du Nutri-Score sur l’ensemble des aliments permettrait en améliorant les apports et la consommation alimentaire de la population française de réduire les facteurs de risque associés aux maladies chroniques non transmissibles (MNT) (diabète de type 2, maladies cardiovasculaires, certains cancers), dont le fardeau sanitaire et économique pèse lourdement sur les dépenses publiques et la société. Dans la situation actuelle où le Nutri-Score n’est pas obligatoire, certains grands groupes agro-alimentaires refusent de l’afficher sur leurs produits (dont la composition nutritionnelle n’est le plus souvent pas favorables). Cette situation constitue donc une perte de chance pour les citoyens français.  Ceci justifie qu’il soit rendu obligatoire.

Est-ce que rendre Nutri-Score obligatoire en France est compatible avec la réglementation européenne ?

Sur le plan juridique européen, l’obligation d’affichage du Nutri-Score sur les aliments peut être justifiée par l’article 36 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), qui autorise les États membres à déroger au principe de libre circulation des marchandises pour des motifs de protection de la santé publique, pour autant que la mesure soit nécessaire, proportionnée et non discriminatoire.      
La mise en œuvre obligatoire du Nutri-Score répond à ces critères : parfaitement justifiée en termes de santé publique, elle ne favorise aucune entreprise ni origine géographique particulière. Elle repose sur un système scientifiquement validé et reconnu par plusieurs États membres – France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Espagne et Suisse –  considérant que ce système d’étiquetage nutritionnel est le mieux compris et le plus efficace, et constitue un moyen adéquat pour atteindre un objectif de santé publique majeur : offrir à tous les citoyens un moyen simple de réduire le risque de maladies chroniques, permettant une réduction significative des dépenses de santé, et d’améliorer la force de travail (ces points ont été quantifiés dans une étude de l’OCDE publiée en 2024). Il s’agit d’une mesure proportionnée : ses coûts de mise en œuvre sont négligeables car le système s’appuie sur le tableau des valeurs nutritionnelles obligatoire et d’autres données disponibles sur la face arrière des emballages des aliments, aucun audit requis, l’algorithme sur lequel il repose et les outils du mode de calcul sont accessibles gratuitement, les mises à jour sont documentées publiquement…
Compte-tenu de la robustesse de ses bases scientifiques, rendre le Nutri-Score obligatoire est nécessaire pour atteindre l’objectif d’amélioration de l’état nutritionnel et par conséquence d’amélioration de sa santé de la population par réduction de l’incidence des maladies chroniques et de la mortalité globale.

Bien qu’en théorie un état membre ne puisse invoquer l’article 36 du TFUE pour y déroger lorsqu’il concerne un domaine « harmonisé » – ce qui est le cas de l’étiquetage nutritionnel qui fait l’objet d’un règlement concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (règlement INCO n°1169/2011) – ceci n’est pas un obstacle car le TFUE prévoit que cette restriction peut être remis en cause si l’état membre considère que le domaine n’est pas « entièrement harmonisé ». La France (ou tout autre état membre) peut prouver que ce domaine n’est pas totalement harmonisé. En effet, en 2020, la CE à prévu dans sa Stratégie « Farm to Fork » de rendre obligatoire un logo nutritionnel obligatoire en Europe ce qui témoigne d’un manque d’harmonisation complète au sein du règlement INCO. Bien que le règlement INCO fournisse un cadre général pour l’information des consommateurs, la diversité des systèmes de labellisation nationale, comme le Nutri-Score en France, Nutrinform en Italie, Key hole dans les pays scandinaves,… montre qu’il existe encore des différences dans la manière dont les informations nutritionnelles sont présentées aux consommateurs. L’initiative de rendre un logo nutritionnel obligatoire dans toute l’Union européenne vise à promouvoir une approche plus cohérente et harmonisée de l’étiquetage nutritionnel, améliorant ainsi la transparence et la compréhensibilité pour les consommateurs. Cela indique donc que des ajustements sont nécessaires pour atteindre un niveau d’harmonisation plus élevé.  
Dans ces conditions la France peut argumenter le fait que la stratégie Farm to Fork témoigne qu’il n’y a pas une harmonisation compète sous le règlement INCO, il est donc possible d’invoquer l’article 36 du TFUE pour rendre le Nutri-Score obligatoire en France notamment pour des raisons de protection de la santé publique. En mettant en avant le manque d’harmonisation et la nécessité d’améliorer l’information nutritionnelle pour les consommateurs, la France peut argumenter en faveur de l’obligation du Nutri-Score en tant qu’outil susceptible de protéger la santé du public et de fournir une information claire et accessible à tous.

1. Le contre-exemple de l’Italie qui a mis en place des restrictions sur le Nutri-Score

En Italie, il existe depuis 2021 des restrictions spécifiques à l’affichage du Nutri‑Score sur les produits bénéficiant d’une indication géographique protégée (IGP) ou d’une appellation d’origine protégée (AOP).      
L’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (AGCM, l’autorité italienne de la concurrence) considérant que le Nutri-Score pouvait induire en erreur les consommateurs, notamment pour les produits AOP/IGP et a décidé d’interdire l’usage du Nutri-Score en tant que logo nutritionnel sur certains produits alimentaires certifiés AOP ou IGP.  Cette mesure tire son origine du fait que ces produits sont considérés comme ayant des caractéristiques spécifiques liées au terroir, à la tradition, à l’origine géographique — ce que, selon l’autorité, le Nutri-Score ne prend pas suffisamment en compte. Cette décision n’est pas proportionnée et les argument utilisés n’ont donc rien à voir avec la protection de la santé publique.

Concrètement, l’AGCM a donné aux distributeurs 90 jours pour retirer des rayons les produits concernés comportant déjà un Nutri-Score sur l’étiquette. Par exemple le distributeur Carrefour Italia a dû modifier ses emballages pour les produits italiens de marque propre ou bénéficiant de labels AOP/IGP (alors que ces produits commercialisés dans tous les autres pays européens affichent tous sur leurs emballages le Nutri-Score).

Lé décision administrative prise en Italie veut dire que si un industriel ou un distributeur (domicilié en Italie ou dans un autre pays européen)  souhaite apposer un Nutri-Score sur l’emballage et que le produit est labellisé AOP/IGP, il est considéré comme non conforme en Italie, compte tenu de la décision de l’AGCM. Cette mesure constitue une décision administrative contraignante pour les opérateurs concernés.

Cette décision prise en Italie soulève la question de la libre circulation des marchandises. L’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) interdit les restrictions quantitatives à l’importation et toutes mesures d’effet équivalent entre États membres. Autrement dit, un État membre ne peut pas interdire ou restreindre la mise sur le marché d’un produit légalement commercialisé dans un autre État membre, sauf justification légitime.

La restriction mise en place en Italie est une mesure disproportionnée et discriminatoire et une entrave à la libre circulation des marchandises. Interdire l’usage du Nutri-Score sur certaines catégories de produits (même si légalement commercialisés ailleurs) va au-delà de ce qui est nécessaire pour informer le consommateur.

L’interdiction du Nutri-Score sur les produits AOP/IGP en Italie, bien qu’invoquant la protection du consommateur et du patrimoine agroalimentaire, constitue une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises au sens du droit européen. Or la Commission Européenne n’a pas réagi à la décision unilatérale italienne. Dans ses communications, elle a juste rappelé que les États membres ne peuvent pas interdire un étiquetage volontaire harmonisé utilisé dans d’autres États membres sans démontrer un risque réel pour le consommateur. La Commission a aussi indiqué qu’elle préparait une harmonisation européenne du système d’étiquetage nutritionnel (dans le cadre de la stratégie “Farm to Fork”), ce qui rendrait toute interdiction nationale illégitime à terme…

Si l’Italie, au nom de la protection de son patrimoine agroalimentaire a interdit le Nutri-Score sans réaction de la Commission Européenne, on ne voit pas comme cette même commission pourrait se mobiliser si la France le rend obligatoire au nom de la santé publique.

2. Le précédent de l’Irlande qui a mis en place un étiquetage sanitaire obligatoire sur les boissons alcoolisées

En outre, des précédents récents au sein de l’Union européenne confirment la légitimité d’une démarches nationale de rendre le Nutri-Score obligatoire. Ainsi, l’Irlande a adopté en 2023 un étiquetage sanitaire obligatoire sur les boissons alcoolisées, précisant les risques liés à la consommation d’alcool et donc justifiée sur la base de la protection de la santé publique. Cette initiative, qui va au-delà des prescriptions européennes communes, illustre la marge d’appréciation reconnue aux États membres lorsqu’ils poursuivent un objectif impérieux de santé publique. Elle renforce, par analogie, la solidité juridique de la décision par la France d’imposer un étiquetage nutritionnel clair et uniforme pour mieux protéger la population contre les risques liés à une alimentation déséquilibrée.

3. Le précédent de la France qui a interdit les aliments contenant du dioxyde de titane avant que l’Europe ne prenne la décision de l’interdire

La France a interdit le dioxyde de titane (E171) comme additif alimentaire à partir de 2020, malgré la réglementation européenne sur la libre circulation des produits et son utilisation dans d’autres états-membre. Cette interdiction était fondée sur des préoccupations concernant la sécurité de cet additif, en particulier en ce qui concerne ses effets potentiels sur la santé (notamment en termes de risque de cancer). Il s’agissait d’une mise en œuvre du principe de précaution. En 2022, l’Union européenne a examiné les risques associés au dioxyde de titane et a décidé de ne pas autoriser son utilisation dans les denrées alimentaires, mais dans ce cas la France (et la Hongrie), avaient pris l’initiative et anticipé la décision européenne. L’interdiction unilatérale par la France du dioxyde de titane a favorisé l’adoption au niveau européen de la mesure qui est survenue deux années plus tard.. Le fait de rendre obligatoire le Nutri-Score en France de façon anticipée pourrait favoriser la prise de décision par la CE d’une telle mesure qui était planifiée pour entrer en vigueur en 2022 mais qui n’a toujours pas été prise (du fait de l’action de puissants lobbies).         

Ces différents exemples montrent que les réglementations nationales peuvent agir en réponse à des préoccupations spécifiques de santé publique, même si cela peut sembler entrer en conflit avec les règles générale de fonctionnement de l’UE (grâce à des exceptions spécifiques prévues pour protéger la santé des citoyens).

Au total la généralisation obligatoire du Nutri-Score constitue une mesure nécessaire, proportionnée et légitime de protection de la santé publique, conforme au droit français et répondant à une urgence sanitaire croissante posée par les maladies chroniques liées à la nutrition. Les éléments décrits dans cette note montrent qu’elle peut être prise en France en accord avec les règles européennes dans le domaine de la protection de la santé publique.     
Il n’est donc pas acceptable de se retrancher derrière la réglementation européenne pour s’opposer à la prise de décision de la généralisation obligatoire du Nutri-Score en France.