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Pour la Ministre de l’Agriculture, les aliments qu’elle considère «remarquables» ne doivent pas être mal classés par le Nutri-Score ! Debunking…

Au Sénat, en réponse à une question orale de Jean-Claude Anglars, sénateur de l’Aveyron sur « l’inadéquation de l’étiquetage nutritionnel aux produits traditionnels tels que le fromage au lait cru », Mme Genevard, Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire s’est affichée de façon totalement décomplexée en porte-parole des lobbies, utilisant les arguments fallacieux de Lactalis, Savencia, Danone, la Fédération des charcutiers traiteurs… pour critiquer, de façon malhonnête et biaisée, le Nutri-Score et sa nouvelle version mise à jour par les scientifiques.
Voir la vidéo de la séance au Sénat (4mn42) ci-dessous:


D’emblée, dans l’optique de décrédibiliser Nutri-Score, Mme Genevard affirme qu’il a connu un « faible succès » puisqu’il n’a été adopté « que » par 7 pays au niveau européen. C’est un comble ! Faire croire que ce déploiement est un échec au niveau européen est réellement déplacé. C’est au contraire un grand succès pour un outil de santé publique qui fait l’objet d’une forte opposition de puissants lobbies, notamment de grandes multinationales de l’agro-alimentaire. Les sept pays qui l’ont adopté qui sont la France, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne, le Luxembourg et la Suisse, représentent tout de même 53 % de la population européenne et il a même été estimé que plus de 65 % des européens ont accès au Nutri-Score si on prend en compte les autres pays dans lesquels les distributeurs affichent le Nutri-Score sur leurs produits. D’autre part, Mme Genevard n’est certainement pas sans savoir que plusieurs autres pays européens sont actuellement dans le processus législatif d’adoption du Nutri-Score (notamment la Finlande, l’Autriche). En France, c’est déjà plus de 1450 marques (62% du marché) qui ont adopté le Nutri-Score…

Dans sa réponse devant les sénateurs, pleine d’imprécisions, de confusions et de fake news, Mme Genevard fait preuve d’un total mépris pour la science (à laquelle elle ne fait jamais allusion) et pour les scientifiques et un vrai déni de la santé publique et de la santé des consommateurs. Pour défendre les fromages de sa région (le Comté) et de celle du Sénateur qui l’a interrogée (le Roquefort) elle préfère mettre en avant le caractère « remarquable » de ces produits et la qualité des filières agricoles…alors que l’on sait que la production de ces fromages est en très grande partie sous la coupe de firmes agro-alimentaires très puissantes, comme Lactalis, Savencia et Sodiaal.

Parmi les imprécisions et les arguments développés par la Ministre, on retrouve les éléments largement utilisés par les lobbies : la confusion faite entre la « qualité gastronomique ou patrimoniale » et « la qualité nutritionnelle » de certains aliments. Mme la Ministre joue sur ce registre pour les aliments qu’elle veut défendre (« le Roquefort chez vous, le Comté chez moi et les magnifiques salaisons françaises ») qu’elle cite à plusieurs reprises avec le qualificatif générique de « remarquables », sans préciser à quel point de vue : le goût ? le fait qu’ils font partie du patrimoine gastronomique ? le lien avec le terroir ? le fait d’être produit par des filières de qualité ? la qualité nutritionnelle ? le bénéfice santé ?…) ? C’est une stratégie largement utilisée par les lobbies et leurs relais politiques, notamment en Italie (et par son homologue au ministère de l’Agriculture italien, Mr Lollobridgida, issu du parti d’extrême-droite au pouvoir, les Fratelli Italia), dans le cadre de ce que l’on nomme le gastro-nationalisme ou gastro-populisme : mettre en avant des qualités des aliments qui n’ont rien à voir avec leur composition nutritionnelle ou leur lien avec la santé pour occulter ces derniers. Mais, bien sûr, ce n’est pas parce qu’un produit est traditionnel et gastronomique et qu’il fait partie du patrimoine culinaire (des notions tout à fait respectables), que cela lui confère une qualité nutritionnelle favorable et l’autoriserait à ne pas être transparent sur sa valeur nutritionnelle (en n’affichant pas le Nutri-Score) ou de bénéficier d’un quelconque passe-droit pour afficher un bon Nutri-Score ! Un produit gras, salé ou sucré même traditionnel, même avec une appellation d’origine (AOP ou IGP) reste sur le plan nutritionnel un produit gras, salé ou sucré. Pour Mme Genevard, si des produits « remarquables » comme les fromages ou les charcuteries sont « riches en gras ou en sucre » (sic !, non Mme la ministre ils sont riches en sel pas en sucres…), le fait que le Nutri-Score le montre aux consommateurs est pour elle choquant et le fait que ces produits ne soient pas classés favorablement par Nutri-Score voudrait tout simplement dire que le Nutri-Score n’est pas adapté !
De plus, il serait bon de rappeler, Mme la Ministre, qu’en fait, la grande majorité des aliments traditionnels sont bien classés par Nutri-Score, seuls les fromages et les charcuteries sont classées dans les catégories D et E. Ce qui ne fait d’ailleurs que rappeler aux consommateurs que, compte-tenu de leurs teneurs en sel et en acides gras saturés, ces aliments, qui peuvent faire partie d’une alimentation équilibrée, doivent être consommés en quantités et fréquences limitées. Ce point est en parfaite phase avec les recommandations nutritionnelles de santé publique qui sont en vigueur auprès du grand public, notamment dans le cadre du PNNS en France et au niveau européen.

De plus Mme la Ministre ne se gêne pas d’utiliser ou relayer des fake news : par exemple, elle affirme, reprenant un élément de la question du Sénateur Anglars qu’en 2020 la France aurait voté « contre » lorsque la CE aurait voulu rendre obligatoire le Nutri-Score en Europe. Et cela car la France aurait été consciente des difficultés créées par cet étiquetage … sauf qu’il n’y a jamais eu de vote au niveau de la CE sur le fait de rendre obligatoire le Nutri-Score, ni en 2020, ni depuis d’ailleurs !

Quant au chapitre où Mme Genevard se prononce sur la mise à jour de l’algorithme qui sous-tend le calcul du Nutri-Score intervenu en 2023, sa vision et son discours apparaissent tout à fait sidérants ! Elle fait part de sa déception affirmant que cette mise à jour n’a pas corrigé ce qu’elle appelle des « désagréments », à savoir les notes défavorables des fromages et des charcuteries. En fait Mme Genevard n’attendait pas que le Nutri-Score soit mis à jour en fonction des progrès de la science mais que soient améliorés les classements qui la dérangent du Roquefort, du Comté et des salaisons (et qui dérangent Lactalis, Savencia, Sodiaal, la Fédération des entreprises de charcuterie traiteur…). Peu importe les rapports très complets (représentant 18 mois de travail) publiés par le comité scientifique composé d’experts européens sans lien d’intérêt, s’appuyant sur la science et dont les conclusions ont été validées par la gouvernance européenne des 7 pays qui ont adopté le Nutri-Score, dont la France représentée par le Ministère de la Santé… Mme Genevard ne se soucie guère et ne parle pas de compétences scientifiques ou d’intérêt de santé publique qui ont prévalu dans la mise à jour du Nutri-Score. Non elle ne parle que de sa déception car les fromages et charcuteries, ces aliments qu’elle définit comme « remarquables », même gras et salés, n’ont pas bénéficié d’une « correction » (une revalorisation) avec une meilleure note au Nutri-Score. Comme si la définition d’un outil de santé publique devait, non pas s’appuyer sur la science et l’intérêt de la santé des citoyens, mais faire plaisir à des opérateurs économiques ou à des Ministres qui défendent leurs intérêts.

Et pour enfoncer le clou dans ses critiques, Mme la Ministre n’hésite pas à affirmer que les choses se sont aggravées avec la révision du Nutri-Score (le nouveau Nutri-Score serait donc pire que l’ancien) en évoquant le changement de statut du lait qui « de son point de vue », comme elle l’affirme haut et fort, serait « scandaleux ». On retrouve là un copié-collé des arguments du secteur laitier et notamment de Danone qui se plaignent d’un déclassement de la classification du lait qui passe de A en B, et qu’ils mettent en scène de façon dramatique comme une condamnation formelle à ne plus boire de lait. L’argument principal est de dire que le lait est désormais considéré comme une ‘boisson’, ce qui serait une trahison compte tenu de sa position dans le cadre des recommandations nutritionnelles.

Cette idée que les catégories de calcul du Nutri-Score seraient alignées sur les groupes alimentaires des recommandations nutritionnelles est absurde : le Nutri-Score comporte seulement trois catégories principales (produits génériques, matières grasses et fruits oléagineux et boissons – ou plutôt liquides à boire). Ces catégories sont dictées principalement par des impératifs relatifs à la distribution des compositions nutritionnelles des produits. Personne ne s’alarme que les fruits et légumes soient classés dans des ‘aliments génériques’ (à la différence des jus de fruits classés dans les boissons) et au même titre que les biscuits, et personne n’envisage que cela puisse signifier que ces deux groupes sont traités au même niveau dans les recommandations nutritionnelles…

Le fait de basculer le lait pour le calcul du Nutri-Score dans les boissons ne fait passer le lait écrémé ou demi-écrémé que de A à B, c’est-à-dire restant dans les catégories « vert », celles des aliments à favoriser pour les consommateurs (pour rappel les produits dont il faut limiter la consommation, notamment dans les messages de Santé Publique France, sont ceux étiquetés D ou E). Il n’y a donc aucune contradiction avec les recommandations nutritionnelles diffusées sur les produits laitiers (ni pour le lait et les produits laitiers, notamment pour les fromages). Par ailleurs, les produits laitiers ne sont pas ‘recommandés’ tout court dans le cadre des recommandations nutritionnelles, comme le laisse entendre la ministre, mais bien recommandés à hauteur d’une certaine consommation, et pas au-delà : deux produits laitiers par jour pour les adultes, pas moins, mais pas davantage (trois produits laitiers chez les enfants et les adolescents).

Au contraire le mode de calcul du nouveau Nutri-Score permet pour les produits laitiers une meilleure adéquation avec les recommandations nutritionnelles en permettant de différencier le lait écrémé et demi-écrémé (classés B) avec le lait entier (classé C) et surtout de différencier le lait nature des laits aromatisés, et yaourts à boire dont les formes sucrées peuvent contenir autant, voire plus, de sucres qu’un soda – et qui changent légitimement de catégories, avec le mode de calcul des boissons, passant de A/B à C/D ou E en fonction de leurs teneurs en sucres. Cette révision était nécessaire et s’appuie sur des bases scientifiques solides documentées dans les rapports du Comité scientifique européen que manifestement Mme Génevard n’a pas lu, préférant surement s’attarder sur les notes faites par Danone et autres lobbies…

Il est vrai que Danone ne voit pas d’un très bon œil que ses Actimel, Activia et autres Danonino à boire, qui se présentent au travers d’allégations comme des aliments santé (et qui représentent un énorme marché économique) se retrouvent légitimement classées D ou E du fait de leurs teneurs élevées en sucre (information utile aux consommateurs pour leur rappeler que leur consommation doit être limitée ou qu’ils doivent préférer des alternatives non ou moins sucrées).

Curieusement Mme la Ministre, à la fin de sa réponse, rappelle qu’on est dans la semaine de lutte contre l’obésité, sans qu’on puisse voir très bien le rapport avec sa condamnation du Nutri-Score. Au contraire puisque le Nutri-Score est considéré par les instances de santé publique nationales et internationales et les professionnels de santé comme un outil de santé publique contribuant à la lutte contre l’obésité (comme le suggèrent de nombreux travaux scientifiques) et qu’ils demandent sa généralisation sous forme obligatoire en France et en Europe.

Enfin dans sa conclusion Mme Genevard confirme bien, et reconnait pour la première fois publiquement, que l’arrêté interministériel permettant la mise en place du nouveau Nutri-Score révisé sur des bases scientifiques (mais qui déplait aux industriels et à certains secteurs) – déjà en vigueur depuis le 1er janvier 2024 dans les 6 autres pays qui ont adopté le Nutri-Score – et prêt depuis 1 an (et déjà signé par le ministère de la santé en France) est toujours bloqué par son ministère (alors que jusqu’à présent, le discours du Ministère de l’Agriculture était que la signature était une affaire de jours,…). Et elle affirme qu’elle va « voir ses marges de manœuvre pour en corriger les effets négatifs » !

C’est clair, les lobbies vont être contents de la prestation donnée par Mme la Ministre de l’Agriculture. Mais une chose est sure, ce type de discours ne rassure pas les scientifiques et les acteurs du champs de la santé qui considèrent que ce n’est pas à la Ministre de l’Agriculture d’interférer sur les outils de santé publique basés sur la science au nom de la défense d’intérêts purement économiques de certains secteurs.

Prochaine étape, Madame la Ministre de l’Agriculture va-t-elle proposer de remplacer le logo nutritionnel Nutri-Score par un logo « aliment remarquable » qu’elle attribuera sans aucun doute au Comté, au Roquefort, et autres merveilleuses salaisons…