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Tribune parue dans Libération (8 janvier 2025): Qu’attend la France pour mettre en place le nouveau Nutriscore ?

Monsieur le Ministre de la Santé, faites signer l’arrêté officialisant la mise en place du nouvel algorithme du Nutri-Score, attendu depuis un an par les acteurs de santé publique et les consommateurs !

Comme tous les outils de santé publique il était prévu, dès sa conception, que le Nutri-Score soit révisé en fonction du progrès des connaissance scientifiques, de l’évolution du marché alimentaire  et des améliorations possibles apparues souhaitables à l’usage. Un comité scientifique européen a été mis en place pour réaliser la mise à jour de son algorithme dans le cadre de la gouvernance transnationale de Nutri-Score qui rassemble les 7 pays qui ont adopté Nutri-Score à ce jour (France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas, Luxembourg, Espagne et Suisse). Après 2 ans de travaux scientifiques, ce comité a proposé des modifications dans son mode de calcul, afin d’en améliorer ses performances et lui permettre d’être en meilleure adéquation avec les recommandations nutritionnelles actuelles.

La mise en place du Nutri-Score révisé était programmé pour début 2024 dans l’ensemble des 7 pays qui ont adopté le Nutri-Score. Cela a été fait dans les 6 autres pays, mais de façon incroyable, la France n’a toujours pas publié l’arrêté interministériel officialisant l’évolution du mode de calcul du Nutri-score. Ce retard ne peut s’expliquer par des arguments techniques (l’arrêté est prêt depuis plus d’un an, et le retour de la notification européenne date de plus de 8 mois) mais semble lié à des pressions des sociétés agro-alimentaires mécontentes de la nouvelle classification. Il s’agit notamment du lobby des produits laitiers et tout particulièrement de Danone qui a décidé de ne plus afficher le Nutri-Score sur certaines de ses marques, notamment ses yaourts à boire telles qu’Actimel, Activia, Danonino et ses boissons végétales comme Alpro, dont les versions sucrées sont légitimement plus pénalisées (étant autant voire plus sucrée qu’un soda !).

Monsieur le ministre Yannick Neuder,
– en tant que Ministre de la Santé, vous êtes en charge du champ de la prévention notamment des maladies chroniques qui constituent aujourd’hui les grands enjeux de santé publique auxquels la France est confrontée : maladies cardiovasculaires, cancers, diabète, obésité…
– en tant qu’homme politique, avec une carrière de plus de 10 années comme député, vous êtes conscient des coûts humains, sociaux et économiques que représentent ces pathologies,
– en tant que médecin cardiologue, vous êtes sensibilisé depuis longtemps au rôle des facteurs comportementaux qui interviennent dans le risque ou la protection vis-à-vis des maladies cardiovasculaires (et des autres maladies chroniques).
A ces différents titres vous savez que l’alimentation constitue un déterminant majeur de ces pathologies chroniques, sur lequel il est possible d’agir afin de diminuer les risques. Les logos nutritionnels sont considérés, notamment par l’OMS, comme un moyen simple pour améliorer les apports alimentaires des consommateurs dans un sens favorable à la santé et à la réduction du risque de maladies chroniques. C’est notamment le cas du Nutri-Score qui permet aux consommateurs de juger d’un simple coup d’œil, de la qualité nutritionnelle globale des aliments au moment de leur acte d’achat. Il, leur offre ainsi la possibilité de reconnaître les différences de qualité nutritionnelle des aliments ayant le même usage et d’orienter leurs choix – s’ils le souhaitent – vers des aliments dont la composition nutritionnelle est plus favorable à la santé.
Le Nutri-Score est un outil de santé publique développé et validé par des chercheurs experts en nutrition, sans aucun lien d’intérêt avec les entreprises de l’agro-alimentaire. Il a fait l’objet de plus de 150 travaux scientifiques démontrant son utilité et son efficacité en termes de santé publique. De nombreuses études en France et en Europe, sur des dizaines, voire des centaines de milliers de participants, ont démontré que le fait de manger des aliments mieux classés sur l’échelle du Nutri-Score était associé à un moindre risque de maladies cardiovasculaires, de cancers, d’obésité, de syndrome métabolique…Un récent rapport de l’OCDE a chiffré que le Nutri-Score pourrait permettre d’éviter 2 millions de cas de maladies chroniques en Europe d’ici 2050.

Nutri-Score est soutenu par les associations européennes de santé publique et de très nombreuses sociétés et comités d’experts européens en nutrition, cardiologie, cancérologie, gastro-entérologie, diabétologie… Diverses études ont mis également en évidence que Nutri-Score est plébiscité par les consommateurs : 94% des Français le soutiennent et seraient favorable à ce qu’il devienne obligatoire. C’est également une demande forte des professionnels de santé et des scientifiques impliqués dans le champ de la nutrition. D’autre part 57 % des consommateurs déclarent avoir modifié certains de leurs achats alimentaires grâce au Nutri-Score. Et une analyse des ventes des aliments dans les supermarchés, en France montre que la vente de produits A et B a tendance à augmenter et celle des produits D et E à diminuer.

Et s’il fallait convaincre le médecin cardiologue que vous êtes de l’intérêt du nouveau Nutri-Score, permettez-nous de vous rappeler qu’une étude récente dans le Lancet Regional Health portant sur plus de 340 000 personnes suivies pendant 12 ans dans 7 pays européens confirme que manger des aliments mal classés sur l’échelle du Nutri-Score DANS SA VERSION MISE A JOUR est associé à un risque accru de maladies cardiovasculaires. Cette nouvelle étude valide l’intérêt du Nutri-Score et notamment sa mise à jour récente.

Nous comptons, Monsieur le Ministre, sur votre mobilisation pour que soit publié au plus vite (comme dans les autres pays européens) l’arrêté imposant aux industriels qui affichent le Nutri-Score l’utilisation du nouveau mode de calcul. La France, le pays où a été développé le Nutri-Score et qui a été le premier pays à le mettre en place, ne peut être le seul à ne pas officialiser la nouvelle version donnant aux consommateur une information encore plus utile pour faire des choix éclairés, version que votre ministère a validé il y a déjà plus d’un an. Merci Monsieur le Ministre de montrer à tous votre volonté de ne pas céder aux puissants lobbys qui essaient de bloquer ou retarder la mise en place du nouvel algorithme et de signer l’arrêté si attendu par les professionnels de la santé publique et les consommateurs.

Pr Serge Hercberg, Professeur des Universités – Praticien Hospitalier (PUPH), Professeur émérite de Nutrition, Université Sorbonne Paris Nord

Dr Mathilde Touvier, Directrice de Recherche INSERM, Directrice de l’Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle/CRESS

Cette Tribune a été publié dans Libération, le 8 janvier 2025: https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/quattend-la-france-pour-mettre-en-place-le-nouveau-nutriscore-20250108_3RE2UF53HVB7TA4PYQI4MI6YFA/?utm_medium=Social&at_medium=Social%20Media&at_campaign=Twitter%20SME&utm_source=Twitter&at_platform=Twitter#Echobox=1736343429